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Philippe HÉRIAT par Pierre GASCAR
Je gage que, dans sa vie déboucha brusquement sur gage secret, leur vérité ca-
où il connut très tôt la noto- une vie qui allait hâter et chée, curiosité aussi pour
riété, Philippe Hériat a du bousculer sa maturation : la leur destin d'aimer...Philippe
être souvent impatienté par guerre. Hériat est un écrivain qui a
les remarques que son im- le goût du cœur...
posante stature, son presti- Il s'engagea à dix-huit ans
ge physique faisaient naître, et fut versé dans l'artillerie Dans ses livres, à travers la
chaque fois, dans la bouche lourde, cette arme qui de- forte structure romanesque,
ou sous la plume de ceux mandait de grands corps et derrière les personnages
qui l'approchaient. [ … ]. en couchait bon nombre vivants, l'époque montrée,
alors. Autour de cet être jeu- les âmes révélées, près de
La vie de Philippe Hériat ne, il y avait eu tout, pres- ces dialogues comme ve-
ne présente aucun de ces que tout jusqu'à cette date, nant de la pièce à côté, que
accidents, au sens géogra- mais pas encore la souffran- de lignes d'une écriture se-
phique du terme, qui, dans ce et pas encore les hom- crètement tremblée!
d'autres biographies, per- mes. Les hommes, il les
mettent plus ou moins légiti- rencontra pendant deux J'aime ce tremblement furtif
mement de brosser quel- ans, en Lorraine ou dans les dans la voix ou dans les li-
ques paysages humains Flandres, souvent dans la vres, cette mince fêlure
surprenants. boue des hivers guerriers, dans le cristal trop pur, la
tandis que, simple soldat, il syllabe vibrée où se détient
Il est né à Paris, tout à la vivait le dur charroi des piè- un peu de trouble, ce soup-
fin du siècle dernier, dans ces à feu. La souffrance çon de chant faux, le peu de
une famille appartenant à la n'était jamais loin mais, aus- rêve, le rien d'incertitude qui
magistrature et dont la sou- si, les joies de la camarade- prolonge longtemps -- et le
che était picarde d'un côté, rie, la vie fruste et turbulente silence refermé -- le mot
berrichonne de l'autre. des cantonnements de re- qu'on vient de dire et qui
pos. vaut mieux que lui...
… Installé dans son ado-
lescence parisienne, encore Cette expérience que des Cette émotion cachée et
que l'adolescence soit juste- dizaines de milliers d'autres cependant toujours sensi-
ment l'âge dans lequel on jeunes hommes faisaient -- ble, secret support d'une
soit le moins "installé", gran- et pour beaucoup elle resta œuvre vouée tout entière à
dissant au sein d'une famille sans lendemain -- dévelop- la réalité, fait des livres de
bourgeoise pleine des sou- pa très tôt, chez Philippe Philippe Hériat des livres
venirs de prestigieuses ami- Hériat, le goût et l'intelligen- romantiques.
tiés littéraires (son arrière- ce du prochain. Dans les
grand-mère, Zulma Carraud témoignages qu'il rapporta Philippe Hériat ne dépeint
avait été la confidente et la de cette épreuve et dans un milieu social que pour y
correspondante de Balzac, son œuvre tout entière ap- ouvrir une brèche et " dé-
et son père avait tenu un parait cet alliage de senti- semprisonner " certains des
des cordons du poêle à l'en- ments dans lequel l'être hu- personnages qu'il y a pla-
terrement de Victor Hugo), main passe toujours "à côté cés. Cela nous permet à
courant applaudir Sarah " de son semblable : mou- bon droit de parler, à son
Bernhardt, écrivant des vement vers des personna- sujet, de romantisme. C'est
vers, Philippe Hériat, qui ne ges d'une autre origine que un mot qui en dit plus qu'il
s'appelait encore que soi, curiosité pour leur lang- ne semble, c'est un mot qui
Raymond Payelle, ouvre quelque chose au-
devant de nous.