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Avec le troisième volume de ses "Boussardel" PHILIPPE HÉRIAT

ouvre pour son héroïne bourgeoise "Les Grilles d'Or" du parc Monceau

 ROMANCIER des dynasties               de maîtres; mais il n'y travaille       tous mes livres celui qui a été le
bourgeoises et des grands pro-         que la nuit, de minuit à cinq heu-      plus éreinté par la critique, dit-il.
priétaires de la plaine Monceau,       res du matin. C'est sa domesti-         J'ai compris pourquoi depuis que
Philippe Hériat (1 m 88) — le          que alsacienne. Marthe, qui tape        je suis entré, en 1949, chez les
plus « haut » des académiciens         ses manuscrits en tablier blanc et      Dix. Les critiques éreintent tou-
Goncourt publie, chez Gallimard,       lui fait aussi, depuis seize ans,       jours un livre qui a le prix s'ils
un gros volume de près de 400          d'excellente cuisine.                   n'ont pas eu le temps de lire.
pages : Les Grilles d'Or. C'est le
troisième tome de sa série Les          Dans une petite armoire discrè-        UN ACADEMICIEN SCRUPULEUX
Boussardel, qui comprenait déjà        te et ouvragée, le romancier dis-       A cette époque — on était alors
Les Enfants gâtés (prix Goncourt       simule quelques bonnes bouteil-         en pleine drôle de guerre — Phi-
1939, tirage : 249.400 exemplai-       les. Il a abandonné le pastis il y a    lippe Hériat, qui avait déjà obtenu
res) et Famille Boussardel             deux ans à la suite d'une insola-       le prix Renaudot avec
(148.600 exemplaires).                 tion, et s'en console avec le whis-     "L'Innocent", était mobilisé dans
                                       ky et la vodka qui sont, selon lui,     la Défense passive. Il faisait,
 Les « grilles d'or s sont celles      "les deux dernières Inventions          comme simple deuxième classe,
qui se trouvent à l'entrée des         des médecins".                          du terrassement à la ,porte Do-
trois avenues privées qui ont ac-                                              rée et montait la garde au mé-
cès au parc Monceau. De style           Né le 15 septembre 1898 ave-           tro... Goncourt. Engagé volontai-
second Empire, patinées par la         nue de l'Opéra, Philippe Hériat         re en 1916, il avait fait une pre-
pluie et le vent, elles confèrent,     (de son vrai nom Raymond-               mière guerre comme artilleur.
aux immeubles cossus et silen-         Gérard Payelle) est le fils d'un        Pour se distraire, il composait
cieux qu'elles protègent, une es-      ancien premier président de la          alors des poèmes pour une petite
pèce d'insularité. Agnès Boussar-      Cour des Comptes, Georges               revue. "La Presqu'île". Il avait
del, l'héroïne de Philippe Hériat,     Payelle. Il aurait peut- être eu le     hésité entre deux pseudonymes :
a cherché toute sa vie à échap-        tempérament des Boussardel si           Gilbert Landes et Gilbert Ganne.
per à ces grilles, symboles de la      son père, qui tint les cordons du       C'est finalement le second qu'il
grandeur, de la continuité, mais       poêle aux funérailles de Hugo,          choisit !
aussi de la dureté implacable de       n'avait été l'ami de plusieurs écri-
son milieu. Toute sa vie n'est         vains : Mallarmé, Verlaine, Cour-       Philippe Hériat, qui avait d'abord
qu'une tentative de libération         teline, Pierre Descaves. Il est         pensé à la chirurgie, se dirigea
qu'elle finit par réussir, dit-il.     aussi l'arrière - petit - fils de Zul-  vers la carrière d'acteur et fit,
                                       ma Carraud, amie et correspon-          comme conseiller historique du
 UN BOURGEOIS SOLITAIRE                dante de Balzac. Le fait qu'il ait      film "Marie Walewska", un stage
ET EMANCIPE                            vu le jour dans la chambre à cou-       à Hollywood. Lorsqu'il se décida
                                       cher de sa mère lui semble typi-        à écrire, trouvant le pseudonyme
 Le drame d'Agnès Boussardel           que des temps révolus.                  de Gilbert Ganne "trop littéraire",
n'est que la transposition littéraire                                          il choisit le prénom de Philippe,
des préoccupations de Philippe          L'époque est proche, dit-il, où        en souvenir de son ami de "La
Hériat, partagé entre ses goûts        les conseils municipaux ne se-          Presqu'île", Philippe Régnier, et
bourgeois et son esprit libéral.       ront plus ennuyés par les deman-        forgea Hériat de toutes pièces.
Cet homme massif, aux grands           des de plaques commémoratives           Aujourd'hui, se tenant volontaire-
yeux noirs cernés de bistre, vêtu      à apposer sur les maisons nati-         ment éloigné des "milieux littérai-
de complets sombres piqués de          ves des hommes illustres. On            res", il accorde une attention tou-
la rosette rouge. vit en solitaire     dressera une liste pour chaque          te particulière aux candidats
dans un appartement douillet de        clinique ou maternité.                  Goncourt. Il estime, en effet, qu'il
la plaine Monceau — précisé-                                                   est trop grave de donner un tel
ment. Il est entouré de "meubles        Au cours de son enquête roma-          prix à des gens qui ne pourraient
de famille", styles Louis XVI et       nesque, Philippe Hériat a noté la       tenir leurs promesses. L'exemple
second Empire, et propose à ses        disparition des dames de compa-         d'un Marius Grout ou d'un Paul
visiteurs une bergère où s'est         gnie, des femmes entretenues            Colin, couronnés après la Libéra-
assis Balzac. Son bureau est           (sur un grand pied), des institutri-    tion et déjà oubliés, est assez
plus vaste que celui d'un minis-       ces ces "mademoiselles" qui sur-        probant. Car, ainsi que le dit Sa-
tre, plein de pendules anciennes,      veillaient l'éducation des enfants      cha Guitry. s'il est toujours possi-
de vases précieux et de tableaux       et même des nourrices qu'on ne          ble à un auteur de talent de se
                                       voit plus donner le sein dans les       remettre d'un échec, il est rare
                                       squares. Mais c'est peut-être par-      qu'un auteur médiocre se relève
                                       ce que les militaires s'y font plus     d'un succès.
                                       rares...
                                                                                                      Gilbert GANNE.
                                        Mes "Enfants gâtés", c'est, de
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