Page 5 - PetiteJeanne
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Un matin, la mère Nannette, tricotant devant sa porte, vit venir à elle une jeune femme qui tenait par la
main une petite fille de sept à huit ans et qui lui demanda un morceau de pain. Comme cette femme
était très-pâle et avait l'air malade, la mère Nannette l'emmena dans sa maison et la fit asseoir. Elle
ralluma son feu, fit réchauffer un reste de soupe qu'elle avait gardé pour son repas du soir et le donna
aux deux mendiantes. L'enfant mangea de si bon coeur, que la mère Nannette vit bien que cette petite
fille n'avait pas souvent si bonne chance. Ensuite elle leur versa un verre de boisson à chacune, et dit à
la pauvre femme:
«Mon Dieu! il faut qu'il vous soit arrivé un bien grand malheur, pour qu'une femme, aussi jeune que
vous, ait pu se décider à demander son pain!
--Oh! oui, un bien grand malheur, ma chère femme. Il faut se trouver dépourvue de toute ressource
pour se résoudre à en venir là. J'ai bien souffert de la faim avant de pouvoir me décider à tendre la
main; je crois que je me serais plutôt laissé mourir, si je n'avais la crainte de Dieu et si je n'aimais tant
cette pauvre innocente que voilà, et qui serait morte aussi. Quand il m'en coûte trop pour aller
demander, je la regarde et je reprends courage. C'est bien triste, allez, ma chère femme, quand on a du
coeur, de vivre en ne faisant rien, aux dépens de ceux qui travaillent! mais je ne peux pas faire
autrement.

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