Page 15 - PetiteJeanne
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Et elle se leva pour aller lui ouvrir la grille; mais son frère Auguste, qui avait déjà treize ans, courut
plus vite qu'elle et fit entrer Jeanne.

«Tu viens chercher les cinquante centimes?» dit Isaure, qui n'était pas plus grande que Jeanne.

Puis, avec la permission de sa mère, elle prit un gros morceau d'une tarte aux prunes qui était sur la
table, et le lui mit dans la main:

«Mange, petite; c'est bien bon.»

Jeanne prit la tarte, mais elle n'y toucha pas.

«Tu n'as donc pas faim?

--Si fait, mademoiselle, je n'ai pas encore déjeuné.

--Tu n'aimes peut-être pas la tarte?

--Je ne sais pas, je n'en ai jamais mangé; mais elle sent bien bon! je crois que c'est encore meilleur que
la galette.

--Eh bien, pourquoi n'en manges-tu pas?»

Jeanne ne répondit rien.

Mme Dumont demanda aussi à Jeanne pourquoi elle ne touchait pas à sa portion de tarte. Elle lui
répondit en baissant la tête:

«C'est que je voudrais l'emporter pour le goûter de maman et de la mère Nannette.

--Mon enfant, il n'y a pas de mal à cela, au contraire; tu fais bien de partager ce que tu as de bon avec
la mère Nannette, qui vient au secours de votre grande misère; mais en voici un autre petit morceau,
que tu vas manger là, devant moi.»

Quand Jeanne eut fini de manger, on lui fit boire un peu de vin et d'eau, et on lui donna une pièce de
cinquante centimes toute neuve.

                         La petite Jeanne sauve la cane de la meunière.

Comme Jeanne, en s'en retournant, passait auprès du moulin, elle vit un jeune chien qui tenait une cane
par la tête; il la secouait si fort qu'il n'aurait pas tardé à lui arracher le cou, si la petite Jeanne, qui était
courageuse, n'eût frappé sur lui de toutes ses forces. Il lâcha la cane qui resta comme morte, étendue
par terre. Elle la ramassa et la mit dans son tablier pour la porter à la meunière. On fit prendre quelques
gorgées de vin à la pauvre bête, et on la mit dans une corbeille pleine de plumes. Cette cane avait dix-
huit canetons qui étaient restés au bord de l'eau; la meunière alla les chercher et en donna deux à
Jeanne en lui disant:

«Tiens, ma petite, voilà deux canetons que je te donne, parce que tu as sauvé la vie à ma cane. Si tu les
soignes bien, ils deviendront beaux, et tu pourras les vendre pour avoir un fichu et un tablier. Je vais
aller te chercher deux oeufs pour ton souper.»

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